Bataille à Böhn
Du voyage en travers les chemins forestiers nous ne retiendrons rien, aucun danger ne s’étant présenté au comptoir du destin.
Le sentier qui les conduisit à Böhn était boueux et couvert de feuilles mortes, les chevaux manifestèrent leur enthousiasme lorsque les sabots touchèrent enfin des pavés lisses et mousseux.
Sur le coté de la route, une pancarte avertissait de l’arrivée en ville « Böhn, village Impérial du Leihmland », en deçà, un panonceau avait été rajouté « La vermine reste dehors », un rat y avait été cloué récemment.
Les citoyens vaquaient à leurs occupations, adressant pour la plupart des salutations polies à l’avis de la petite troupe qui venait d’entrer en ville. Les rares badauds qui y reconnaissait le Baron Von Russel mettaient genou à terre ou saluaient avec des gestes amples avant de s’en repartir d’un pas pressé.
Rapidement toute le village fût au courant et lorsque Viktor arriva à l’auberge du quartier, accompagné de quelques Carabiniers, l’aubergiste lui désigna immédiatement la chambre la plus propre et la mieux entretenue du bâtiment.
Viktor Von Russel paya contant.
- Je veux que vous donniez un soin tout particulier à nos chevaux. Ils sont le fleuron de notre cavalerie.
Il toisa du regard le gros homme aux bras velus.
- Ce s’ra fait m’seigneur…
Il courba la tête jusqu’aussi bas que pouvais lui permettre son anatomie, priant Sigmar que les pièces déposées sur le comptoir soient bien réelles.
Les Carabiniers accompagnés de leur commandant mirent un pied dehors, retrouvant avec plaisir l’usage de leurs jambes après la traversée des bois. On croisait dans la rue de nombreux bûcherons, le village tirait en effet ses principales ressources du bois. Bois qu’il y’avait à profusion autours du village, et même dans tout le Leihmland.
Le temps était clément et une légère brise agitait le sommet des arbres.
Une charrette traversa la chaussée, transportant derrière elle un amas de planches impeccablement droites.
La réputation de Böhn dans le traitement du bois n’avait plus à être faite.
L’un des Carabiniers jeta un œil maussade sur l’attelage puis sur son contenu. Quelque chose dans les planches attira son regard. Son visage passa d’une expression neutre à ce qu’on pourrait qualifié de mélange entre terreur et surprise.
Il hurla au charretier de s’arrêter et désigna du doigt la marque sombre sur l’une des planches.
Viktor s’approcha de la cargaison, accompagné par son escorte, tandis que deux de ses soldats interrogeaient déjà le paysan.
C’était bien une marque blasphématoire. La marque corruptrice du chaos. Elle représentait une étoile épinglant le symbole du Leihmland. La plume.
Comme forgée à même le bois, on retrouvait la marque sur d’autre planches, comme si elle avait été crée à l’intérieur même de l’arbre coupé.
Viktor demanda à l’un des soldats son pistolet, recula et tira sur le symbole qui parti en éclats et en fumée.
Puis il se retourna vers le charretier, à présent complètement affolé. La populace commençait à s’amasser dans la rue, comme des vautours sur le malheur.
- Tu étais au courant pour ces marques ? La voix était ténébreuse et elle sous entendait qu’il ne fallait surtout pas la malmener.
- Je… C’est que… V’savez c’que c’est… L’argent, tout ça… C’est du bon bois quoi.
Le bûcheron suait à grosses gouttes, il savait pour les marques, en coupant l’arbre il les avait vu. Mais bien qu’interdit et symbole de malheur, le bois était sa seule source de revenu, il ne pouvait pas gâcher le travail de toute une journée…
- On le fait pendre Seigneur ?
Le carabinier cherchait à détecter les pensées du Baron.
- Il n’y ait pour rien. Faites brûler ce bois et interrogez les citoyens sur d’éventuelles autres marques.
Il se passe quelque chose d’anormal ici… Moi qui croyait faire une visite de routine… Je suis plutôt mal tombé on dirait.
Les soldats s’exécutèrent, laissant auprès de Von Russel une poignée d’hommes en arme.
En attendant des éléments nouveaux, Viktor décida de continuer sur ce qu’il avait prévu de faire.
A savoir aller rencontrer le Maire et le Ministre de Böhn afin de clarifier le point de l’Impôt sur les Fortunes…
***
- C’est entendu Monseigneur, mais vous savez, ici, à Böhn, les notables ne sont point nombreux et…
Il le coupa net. Tranchant le sujet à vif.
- Je sais. Ils payent. Mais sachez qu’ils ne payent pas assez. Ouvrez les yeux, regardez les bûcherons, des miséreux qui donnent sueur et sang pour eux. Cet Impôt est légitime, et il servira à ceux là, qui font la masse de notre Baronnie.
Le Maire était attentif, le Ministre aussi. Tout deux avaient été élus par le peuple deux années plus tôt, et la solde de leur rang était un plus indéniable dans la paye du mois. S’ils voulaient être réélus, ils avaient tout intérêt à se trouver proche du peuple.
- Nous prendrons les mesures nécessaires alors, fît le Ministre Gringer.
La discussion continua encore pendant une heure ou un peu plus. Il fût convenu que les nobles concernés par l’Impôt paieraient en date prévue, chaque trimestre.
S’ils ne payaient pas, un comité serait chargé de prélever la somme due, par les armes s’il le faut.
Viktor Von Russel l’avait prévenu. La ligne serait droite.
Le soir tombait sur le village lorsque le reste des Carabiniers se regroupa à l’auberge.
On y parla de la marque découverte dans le bois.
Aucune autre trace n’avait été visible et aucun citoyen ne semblait détenir des informations à ce sujet. Le néant total.
Pourtant la marque du chaos ne pouvait être reniée. Elle avait été là, signe que des puissances occultes étaient à l’oeuvre.
La troupe s’endormit le soir l’esprit lourd des menaces que représentait un tel présage.
Tôt le matin, un cri provenant des bois se fit entendre aux abords du village. La milice fût immédiatement mise sur pied et on alla chercher le Baron et son escorte.
Les bûcherons travaillant au bois étaient tous regroupés en demi cercle autour de la malheureuse.
- Mon dieu…
La tête du Baron se mit à tourner, en même temps que la collation qu’il venait d’ingurgiter.
Le spectacle était hideux.
La femme était clouée sur l’écorce d’un arbre, bras et jambes écartées. On lui avait entaillé le ventre et ses viscères pendaient lamentablement. On avait apparemment abusé avec son corps, sa robe avait été déchirée dans le bas et ce qui devait être le gros intestin cachait son intimité.
- Que… Quel est le nom de cette pauvre femme ? La connaît on ?
La voix était tremblante et son teint était désormais livide.
- Moi m’ssieur. J’la connais m’ssieur.
Le garçon n’était pas plus haut que trois pommes. Sa frimousse était noire de salissure et ses cheveux devaient être blonds sous la couche de crasse.
- Qui es-tu petit bonhomme ?
Un homme parmi les travailleurs lança :
- C’est le p’tit Manfred, le fils de la Gretha.
Le silence s’abattit parmi la foule interdite. Viktor répondit à l’homme d’abord.
- Je crois n’avoir parlé qu’au petit jeune homme devant moi… Alors dis moi petit, qui es tu ?
- Je suis Manfred m’ssieur. Manfred Fiegler.
Il marqua une pause.
C’est ma m’man m’ssieur. Qu’est dans l’arb’.
Le silence ce fit plus pesant, et Viktor se sentit désemparé face à cette réponse. Il y’avait tant de détresse dans cette scène, tant d’émotion. Il ne comprenait pas comment un aussi petit garçon pouvait assister à pareil spectacle.
- D’accord petit. Ecoutes moi, je crois que tu n’as rien à faire ici n’est-ce pas ? Je ne sais pas qui t’a permis de venir voir, mais c’est mal.
- Oui m’ssieur.
Viktor n’avait qu’une envie, celle d’hurler au destin qu’il n’est qu’un salaud de la pire espèce, un monstre de cruauté. Il se retint pourtant, et un instant il cru céder aux larmes.
- Alors un de me vaillant soldat va te raccompagner chez toi. Ta maman est partie rejoindre Sigmar, quelque part. Crois-moi, nous sauront punir ceux qui ont fait ça.
Un des Carabiniers raccompagna Manfred au village tandis que le silence semblait s’être installé durablement parmi la foule.
Au bout de quelques instants pourtant, un groupe de milicien se présenta au Baron du Leihmland.
- Nous avons r’perés des traces dans la gadoue. Y’en à d’toute sorte, à faire froid dans l’dos, j’vous l’dis.
C’comme si c’qu’était passé là, ben c’était pas très… Humains quoi…
Un autre prit la parole.
- C’qu’est bien n’étrange aussi, c’est que y’a pas d’traces d’échelle pour clouer la Gretha à l’arb’... Comme ci que bon, le gars qu’a fait ça, il mesurait ben deux hommes en hauteur…
Le constat était clair, une troupe d’on ne savait trop quoi avait décidé de s’en prendre au village… La marque chaotique confirmant que les agresseurs n’avaient rien de très humains.
- Je vois. Répondit Viktor tandis qu’il se forçait à éviter du regard le spectacle sanglant.
Ils vont sûrement revenir. Que l’on prépare les défenses au village. Je donne ordre de caserner tous les habitants. Plus personne ne sort jusqu'à nouvel ordre.
Et la nouvelle nuit qui tombait voyait les volets et les portes barricadées à chaque maison, des vigies postées sur les toits et sur les tours de guet. Des groupes armés de miliciens patrouillant la ville de long en large.
De grandes torches éclairaient les bois environnants.
Von Russel avait fait poster plusieurs de ses hommes en des points stratégiques, la plupart en hauteur avec des arquebuses. Le reste auprès de lui.
Le village était parti pour sombrer dans les affres du sommeil lorsque la cloche d’une des tours de guet se mit à sonner.
Les miliciens se regroupèrent et plusieurs hommes armés de haches et de fourches sortirent des maisons pour venir grossir les rangs.
Viktor s’informa des raisons de l’alerte.
Le guetteur n’avait rien vu, mais une odeur nauséabonde commençait à se répandre dans le village. L’air devenant lourd à chaque respiration. L’étrange phénomène n’ayant rien de rassurant, il avait préféré donner l’alerte.
C’est vrai que l’odeur n’avait rien d’agréable. C’était comme sentir une fausse à purin dans laquelle on aurait rajouté des morceaux de viande faisandée.