Le rouge, l’infini du feu, la chaleur suffocante. Il se souvient du temps d’avant, quand ils ne faisaient qu’un. Elle le protégeait, il ne connaissait pas la peur ou la douleur, il aimait, il était et elle était. Il existait par elle, en elle. Il baignait dans une douce et chaude tranquillité. Mais l’enfant ne connaissait pas cette fournaise ; il a soif, il pleure mais elle ne vient pas. Où est-elle ? Il a besoin de son sein, de sa présence lumineuse. La peur apparaît, le vagissement devient un cri. Pourquoi ne vient-elle pas ? Quelque chose va mal, il voudrait se lever, partir vite, quitter cet enfer brûlant. Il tente de se lever mais retombe au fond de son berceau. Sa gorge sèche le torture, il s’agite. Il tourne la tête, quelqu’un est là.
Est-ce enfin elle ? Non, il voie un nuage noir, ce n’est pas elle. La peur se change en terreur, il doit fuir, ne pas le laisser le toucher. Il se jette contre le bord de son lit, s’y accroche, tente d’utiliser ses petits muscles. Ses mains glissent de sueur. Il s’élève de quelques pouces, il tente de passer ses jambes au-dessus de la barre de bois, encore quelques centimètres… L’être s’approche, il va l’attraper. L’effroi lui donne des forces, il passe une main, un pied. Enfin libre ! Il tente de se jeter vers le sol. Il devrait tomber, pourquoi ne tombe t-il pas ? Il sent quelque chose de froid sur sa jambe. L’autre a la main froide, malgré ce brasier, il a la peau gelée. Le nourrisson tente de se débattre, de s’enfuir, où est-elle ? Elle doit venir le sauver, ne pas le laisser dans les bras de ce monstre, elle va forcément venir. L’autre le serre contre son ventre, il voit les cicatrices sous le capuchon sur le visage de l’être. Elles dessinent une forme lui rappelant quelque chose. Mais ce n’est pas un bon souvenir ; une bête immonde tapie dans une caverne plus noire que la nuit sans lune. Il veut s’échapper de la chose ne lui prêtant plus aucune attention et s’avançant vers la porte à travers les flammes. Le feu s’écarte de l’homme comme si sa présence le repoussait. L’enfant ne comprend pas, il ne veut pas comprendre, il veut s’enfuir, la retrouver. Il n’a pas assez de forces pour se libérer de l’étreinte étouffante. Il tente de le mordre, mais n’arrive pas à tourner la tête. Le nouveau-né voit une forme bleue et instinctivement, la projette sur l’être. L’autre vacille, se reprend, jette un regard furieux sur l’enfant et applique sa main sur le petit front. Le nourrisson sent un violent déchirement ainsi qu’une douleur ravageuse, il perd la conscience quelques secondes où il ne voit qu’un rayonnement blanc. Il cesse de lutter, se remet à sangloter, tentant de se replier sur lui-même comme au temps d’avant la lumière. Il ne s’aperçoit pas qu’ils ont quitté la maison enflammée, qu’ils marchent dans une clairière et s’approchent de la lisière de la forêt pourrissante. Il sent l’homme s’arrêter comme s’il avait entendu quelque chose. Il tente de se débattre une fois de plus mais l’autre lui serre les côtes et il s’immobilise. Le sorcier sort une dague en métal noir de sa cape et le nourrisson réprime un gémissement de peur; il y a quelque chose d’anormal dans cette lame.
Sous les pieds de l’être, une fleur épineuse pousse discrètement. Elle s’élève, s’enroule furtivement autour de la jambe de l’homme qui scrute anxieusement les arbres environnant. L’enfant la regarde fasciné, il a oublié l’angoisse et ressent une complicité avec la plante silencieuse. Le sorcier baisse les yeux, il voit la liane mais il est trop tard, elle se resserre contre son corps, tentant de l’étouffer et de lui dérober l’enfant. Il tente de se dégager mais le végétal grandit à vue d’œil, se déployant autour de sa proie pour la broyer. L’homme serre le nourrisson contre lui pour l’étouffer contre lui et bloquer les nombreuses branches tentant de lui arracher.
Une lumière violette jaillit alors des cicatrices de l’être, frappant violemment la plante bleue ; une partie de l’arbuste pourrit et s’effondre, libérant la main au couteau.
Le sorcier regarde l’enfant d’un air fou et avide, une lueur de folie au fond des yeux.
Alors il lève la dague.